On partage ? On partage !

Par Thierry Balasse, musicien – Cie Inouïe
Membre du Conseil d’Administration de Futurs Composés

La création musicale, quelque soit l’endroit où l’on souhaite s’y impliquer, s’appuie sur quelques évidences :
L’imagination, quelque soit le projet.
L’entraide pour pouvoir réunir les moyens et les énergies pour arriver à concrétiser l’idée, le désir, quel qu’il soit.
Le partage avec une équipe au moment des répétitions, de l’enregistrement, de la création.
Le partage, encore, au moment de la rencontre avec un public, quelque soit le mode de rencontre.
Le bonheur d’assister à des rassemblements d’individus tournés pendant quelques minutes, quelques heures, vers le même besoin fondamental de confrontation d’écoute, de communion parfois, de résonance, de réflexion commune vers plus de société à travers la pensée et l’émotion que suscite une nouvelle musique écoutée ensemble.

J’entends parler de crise et comme il se trouve que je navigue de diverses manières dans les eaux de la création scénique depuis 40 ans, vous imaginez bien que ce n’est pas la première fois. Mais là, je ne suis pas d’accord. Nous ne vivons pas une crise, nous vivons un effondrement provoqué et entretenu par une partie de l’humanité qui pense avoir raison, qui pense avoir « gagné », qui pense que la vie est orchestrée par la prétendue loi du plus fort. Un effondrement, ou peut-être que l’idée du naufrage au sein d’un déluge sera plus parlante.

L’imagination noyée par une utilisation délirante de l’intelligence artificielle qui va aller grandissante (une aubaine pour les plateformes musicales qui ne paieront plus de droit d’auteurs), mais aussi par la prétendue nécessité à remplir les salles, remplir, remplir, compter le nombre de spectateurs. Et donc chers producteurs, chers artistes, pensez-y, « orientez » vos projets vers cette nécessité s’il vous plait… Soyez bancable !
L’entraide noyée dans la fausse évidence d’une compétition municipale, régionale, nationale, mondiale.
Le partage noyé dans la peur de perdre ce que j’ai à moi.
Le partage noyé dans l’individualisme qui est devenu le maître mot puisqu’il mène à la réussite personnelle, au détriment des autres, les « perdants » dont on ne parle plus, qu’on cherche à ne plus voir. 
Le bonheur qui semble être devenu un mot naïf, enfantin, pas raisonnable.

J’ai une pensée pour celles et ceux qui ces cinq dernières années ont dû quitter notre monde de la création musicale tout simplement pour survivre au sein de ce déluge. Une pensée pour ces compagnies, ces labels, ces bureaux qui ont silencieusement fermé.

Edouard Glissant nous dit que « sans partage et sans échange le monde ne se dessinera pas ».

Alors, on se rappelle que ce monde est le nôtre, que nous voulons un futur composé de multiples écoutes et que ceux qui ont décidé qu’ils avaient gagné la grande compétition par l’écrasement des autres vont réaliser que face à eux, nous avons des forces imparables pour ramener à la surface l’idée du commun, source de joie :
L’imagination, l’entraide, le partage, le partage (2 fois c’est à peine assez),
le bonheur d’y croire et d’y travailler chaque jour, chaque nuit.